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Information et billets

Prix: Adultes : 30 $ | Étudiants : 20 $
220, avenue Vincent-d'Indy
Montréal (QC) Canada  H2V 2T2

Orchestre de l'Université de Montréal
Dina Gilbert, cheffe invitée (diplômée de la Faculté de musique)
Paul Ballesta, violon (1er Prix du Concours de concerto de l’OUM)
 

Anna Clyne, Restless Oceans
Sibelius, Concerto pour violon en ré mineur, op. 47
Samuel Coleridge-Taylor, Ballade for Orchestra en la mineur, op. 33
Elgar, Variations Enigma, op. 36
 
Ce concert de l’OUM est placé sous le signe et l’excellence : Le 1er Prix du Concours de concerto de l’OUM, Paul Ballesta, y participera, et l’Orchestre sera dirigé par Dina Gilbert, une cheffe renommée, dont la carrière suit une ascension fulgurante. Un programme impressionnant réunit quelques œuvres maîtresses dont le très virtuose Concerto pour violon de Sibelius, un fleuron du répertoire, et les célèbres Variations Enigma d’Elgar, dans lesquelles le compositeur s’est amusé à brosser le portrait de quelques amis. 

Note de programme 
Restess Oceans : rythmes et résistances.

Composée en 2018 et créée en 2019, Restless Oceans est une œuvre engagée en faveur des droits des femmes. Anna Clyne a écrit et pensé cette pièce pour un orchestre de femmes, le Taki Concordia Orchestra (aujourd’hui dissout), sous la direction de la cheffe d'orchestre Marin Alsop, qui en est la dédicataire. La cheffe est elle-même une femme militante puisqu’elle fonde en 2002 le Taki Concordia Conducting Fellowship, association qui vise à former des femmes au métier de cheffe d'orchestre, rappelant qu'à sa création, les femmes avaient plus de chances de diriger un pays du G7 qu’un orchestre.
Inspirée du poème « A Woman Speaks » d'Audre Lorde, Restless Oceans mobilise les musiciennes de diverses manières : en plus de jouer leur instrument, elles doivent taper des pieds, chanter, et se lever après l’accord final de l’œuvre. Leur corps est ainsi mis en scène, illustrant l'unité et la force collective des femmes, appelant à la fois à la célébration et à la résistance.
La structure musicale de cette pièce brève (moins de cinq minutes) se compose de sections aux identités musicales bien distinctes. Elle s'ouvre sur une séquence rythmique évoquant les Augures Printaniers du Sacre du Printemps de Stravinsky par ses accents percussifs et ses carrures irrégulières. On peut même établir un parallèle entre la volonté de marquer les esprits de Anna Clyne et la réception tumultueuse de la première du Sacre.
Cette séquence initiale est ensuite confrontée à une autre séquence rythmique, plus homogène, qui rappelle le style minimaliste du compositeur John Adams, lui-même engagé politiquement - en témoigne Nixon in China. Entre ces passages, une section lyrique émerge, explorant le registre grave des violons et altos, marquée par des influences du romantisme tardif, entre Mahler et Dvořák. Ces deux sections, respectivement rythmiques (tapées du pied), et mélodiques (chantées) alternent, jusqu’à un grand crescendo orchestral et un puissant accord final qui concluent cette œuvre agitée.
Ainsi, par son inspiration poétique, ses références musicales et la mise en scène des musiciennes pour lesquelles elle a été écrite, Restless Oceans illustre de l'engagement féministe d'Anna Clyne, voix incontournable dans la musique contemporaine engagée aux États-Unis.
 
 
Chromatisme à l’anglaise : la Ballade en la mineur op. 33 de Samuel Coleridge-Taylor
Admis au Royal College of Music de Londres alors qu’il n’a que 15 ans, le jeune prodige Samuel Coleridge-Taylor connaît une ascension fulgurante dans le milieu musical britannique et américain de la fin du 19e siècle. S’il est célébré de son vivant, il tombe rapidement dans l’oubli après sa mort, à 37 ans, d’une pneumonie. Cette Ballade est une œuvre de jeunesse. Elle est le fruit d’une commande du Three Choirs Festival qu’il reçoit à 23 ans, en 1898, recommandé par son maître Elgar. La structure de l’œuvre, ainsi que les thèmes qui s’en dégagent témoignent de la précocité de son style et plongent l’auditeur dans les thèmes emblématiques du romantisme.
La Ballade adopte une forme sonate classique avec une exposition composée de deux thèmes contrastés, un développement et une réexposition. Le premier thème, épique et fougueux (Allegro energico), se distingue par ses nombreux accents et ses rythmes pointés. L’écriture syncopée, combinée à l’usage d’hémioles, accentue l’instabilité rythmique de cette section et crée un effet d’urgence et de mouvement. À ce thème s’oppose un second, plus tendre et passionné (Moderato, ma con passione). Initialement joué par les cordes avec sourdine, il est ensuite repris par les bois lors de sa seconde occurrence, enrichissant la texture initiale. L’accompagnement pizzicato des violoncelles et contrebasses, en rythmes ternaires, souligne l’allégresse du thème, puis, supplanté par des syncopes, renforce son caractère passionné, à l’image d’un cœur qui bat avec intensité.
Le développement module et explore les potentialités du premier thème, jusqu'à l'apparition d’un nouveau thème (Tranquillo e molto espressivo). Ce thème, bien que proche du caractère tendre du second, est singulier par sa genèse puisqu’il naît d'une extension d’une cellule chromatique que l’on trouve dès l’introduction de la Ballade, groupe de trois notes, auparavant source de tension, mais cette fois baignée dans un contexte harmonique majeur. L’accompagnement des contrebasses et des timbales, en évitant le premier temps de chaque mesure, confère à ce thème un aspect chaloupé et virevoltant.
La réexposition intervertit les deux premiers thèmes et retrouve la tonalité d’origine, respectant la rhétorique tonale traditionnelle de la forme sonate. Enfin, la Coda (Piu Presto et Con Fuoco) conclut la pièce avec une énergie débordante, réaffirmant la fougue et la passion qui ont marqué toute l’œuvre.
L’organicité de cette œuvre, ainsi que l’énergie qui s’en dégage, l’inscrivent dans le romantisme de la fin du XIXe siècle. La notion de chromatisme, centrale dans cette pièce, est d’ailleurs une des techniques que les compositeurs utilisent pour faire imploser le romantisme à la fin du siècle.


Les paysages nordiques dans le Concerto pour violon de Sibelius : d’un « abominable ennui » à une profonde fascination
 
De nos jours, le Concerto pour violon de Sibelius est l’œuvre la plus aimée de celui que l’on considère comme le père de la musique finlandaise. Elle est très fréquemment jouée en concert et on lui compte plus de 150 enregistrements. Cette symphonie-concerto, à la fois romantique et moderne, connaît deux versions, l’une datant de 1903-1904 et l’autre de 1905. L’accueil de la première version est mitigé : la modernité du discours et le manque de préparation du soliste déplaisent, le concerto est même jugé « abominable et ennuyeux » par certains critiques. La version révisée de 1905, jouée par Karel Halíř et l’orchestre philharmonique de Berlin et dirigée par Richard Strauss, reçoit un accueil positif des critiques, malgré des réserves persistantes pour le public de l’époque.  Un article du quotidien allemand Deutsche Allgemeine Zeitung affirme que l’œuvre rappelle « les peintres nordiques de paysages d’hiver qui, en explorant les rapports distinctifs du blanc au blanc obtiennent des effets hypnotiques et puissants ».
 
La forme traditionnelle en trois mouvements est respectée, mais l’écriture du Concerto donne l’impression d’une grande liberté, dans un esprit quasi-rhapsodique. Violoniste lui-même, Sibelius a conçu un concerto qui permet une grande expressivité pour le soliste.
 
Le premier mouvement, Allegro moderato, en ré mineur, s’ouvre sur un premier thème cadentiel au registre aigu du violon, avec en toile de fond des trémolos de cordes. L’image du Grand Nord et de la lutte des éléments, est ici saisissante : le soliste, flamboyant, semble lutter contre un orchestre glacial, givré. La fin de la première section solo laisse transparaître sur un puits de lumière, mais le tutti orchestral qui lui fait suite agit comme une force contraire, luttant contre cette irruption lumineuse. La cadence, habituellement attendue à la fin du mouvement, est ici placée en son centre, ce qui la rend plus importante, d’autant plus qu’elle est très développée. Après un retour thématique, la fin du mouvement s’ouvre sur une fin de mouvement virtuose (Allegro molto vivace), d’une fougue et d’une sauvagerie grinçantes.
 
Le deuxième mouvement, en si bémol majeur, est plus contemplatif, s’ouvrant sur des appels de bois et de cuivres qui évoquent la nature. Le violon, dans un registre grave, apporte une profondeur claire et sereine, suggérant l’approche d’une 'belle saison'. L’atmosphère, douce et vocale, rappelle une canzonetta, peut-être inspirée par le séjour de Sibelius en Italie. Des pizzicatos délicats et des syncopes aux cordes ponctuent l’accompagnement, renforçant un sentiment de calme et de consolation.
 
« Une polka pour ours polaire », c’est ainsi que le journal Deutsche Allgemeine Zeitung s’est amusé à comparer le dernier mouvement, Allegro ma non tanto, en ré majeur, tonalité homonyme contrastante avec celle du premier mouvement. Le Finale adopte un caractère dansant, avec une rythmique à trois temps, bien qu’étourdissante et martiale. La virtuosité du violon est mise en avant, avec des rythmes pointés qui en font l’un des passages les plus complexes du répertoire. L’orchestre aux sonorités de fête foraine, initialement en soutien, prend progressivement de l’importance jusqu'à un ultime fortissimo dans lequel les deux protagonistes s’unissent définitivement.
 
Si Leibowitz a dit de Sibelius qu’il était « le plus mauvais compositeur du monde », son Concerto pour violon émerveille aujourd’hui. Ses sonorités, nouvelles pour l’époque, ont tracé un chemin singulier entre romantisme et modernité.


Les Variations Enigma, une noble fresque de l’amitié
 
« Edward Elgar est la personnification du vrai caractère anglais en musique, une personnalité noble et un aristocrate né. » Sibelius

 
Les Variations Enigma, composées entre 1898 et 1899 et créées à Londres en 1899 sous la direction de Hans Richter, constituent l'une des œuvres les plus emblématiques d’Edward Elgar. Si ce compositeur autodidacte était relativement peu estimé dans les cercles musicaux londoniens avant la création de cette œuvre, celle-ci marque un tournant : elle fait de lui le fondateur de la musique anglaise du début du XXe siècle et le père des générations suivantes, comme William Walton ou encore Samuel Coleridge-Taylor.
Ces Variations Enigma se distinguent par un concept original : chaque variation est un portrait musical de l’un des amis proches d'Elgar, représenté sous forme de surnom ou d'initiales. Le mystère autour de cette œuvre réside dans le thème sous-jacent que le compositeur n’a jamais révélé. Elgar explique que ce thème court en « contrepoint silencieux » tout au long de l’œuvre sans jamais être joué explicitement, d’où une dimension cryptique qui a intrigué les mélomanes et les musicologues depuis plus d'un siècle.
L'œuvre s'ouvre sur un thème principal à la fois lyrique et introspectif sur le mode mineur aux cordes, dont la ligne mélodique est entrecoupée de silences (suspiratio), à court de mots. Le potentiel expressif du thème est étendu lors de l’épisode majeur qui le traverse, avec un orchestre plus fourni et un phrasé plus legato, avant un retour au mineur dont l’ajout de basses profondes le rend encore plus sombre qu’il n’était.
Ce thème est ensuite décliné à travers quatorze variations, chacune portant la marque de l’influence germanique qui traverse l’œuvre d’Elgar, notamment dans l'écriture orchestrale dense et les doublures caractéristiques du romantisme tardif. Chaque variation explore des sentiments allant de la tendresse et de la légèreté à la gravité et à la grandeur. L’une des plus célèbres, la variation IX (Nimrod) dédiée à August Jaeger, est un hommage poignant à l’un de ses plus proches amis. Cette variation, souvent jouée indépendamment, incarne à elle seule toute l'ampleur émotionnelle de l'œuvre. Partant triple piano et construite en un long crescendo qui culmine dans un bref climax avant de se retirer, cette variation d’écriture chorale et d’aspect brahmsien témoigne d’une forme de noblesse dans l’écriture, une souffrance sublimée au-dessus des vicissitudes humaines.
D’autres variations se distinguent par leur caractère plus léger et humoristique. La variation II, dédiée à H.D. Stuart-Powell, un ami pianiste amateur, offre un scherzo enjoué qui parodie ses exercices pianistiques répétitifs. De même, la variation VII, Troyte, décrit avec humour l’exubérance volatile de l'architecte Arthur Troyte Griffith, tandis que la variation X, Dorabella, est une véritable musique de scène d’opéra en référence à l’une des sœurs de Cosi Van Tutte (opéra de Mozart), avec des jeux d'échanges entre les différents pupitres orchestraux telle une conversation élégante et vive.
Tantôt humoristiques et désinvoltes, tantôt graves et profondes, les Variations Enigma offrent une palette d’émotions variées mais toujours maîtrisées et contenues. Du solo d’alto de la variation VI à la volupté des lignes de clarinettes de la variation VIII, l’œuvre à l’écriture noblement soignée permet à chaque instrument de s’exprimer.
 
 
 

Notes de programmes rédigées par Arthur Prieur, étudiant au doctorat en interprétation, sous la supervision de Sylveline Bourion.

L’OUM et les Variations Enigma d’Elgar