Professeur - Universidade Federal de Uberlândia (Brésil)
Depuis la fin du XXe siècle, les phénomènes relevant de la « transfiction » sont devenus omniprésents dans la fiction contemporaine. Il s’agit notamment de l’usage de la traduction comme métaphore ou topos littéraire, de la mise en scène des énonciateurs (narrateurs, personnages) traducteurs ou interprètes, ou encore de la mise en abîme des énoncés traduits. On pouvait déjà observer ces phénomènes transfictionnels chez les romanciers français qui ont fait usage de la traduction intratextuelle narrativisée depuis la première moitié du XIXe siècle. En effet, ce type de transfiction a été employé surtout par Victor Hugo, Eugène-François Vidocq, Eugène Sue et Honoré de Balzac. Chez ces auteurs, la représentation des personnages des malfaiteurs a incorporé leur propre technolecte – un jargon secret appelé « argot » qui était intelligible seulement pour les « intéressés » –, ce qui a déclenché une vive polémique de la part des opposants à l’usage littéraire de ce technolecte.
En partageant la même intention que son emploi littéraire pour caractériser les personnages comiques depuis le XVe siècle, l’usage des termes et expressions argotiques a toujours été soigneusement distingué par la majorité de ces romanciers du discours du narrateur à travers l’italique, et a été accompagné d’au moins une de ces deux stratégies de traduction intralinguistique : d’une part, l'analyse métadiscursive par le narrateur de chacune des spécificités de l’argot des malfaiteurs, selon la notion de « génie des langues » ; et, d’autre part, l’introduction de notes de bas de page, de parenthèses ou de glossaires pour traduire vers le français les termes et les expressions argotiques qui, énoncés par les malfaiteurs en discours directs, ont permis à ces romanciers-là de raffiner significativement les traits esthétiques, idéologiques, axiologiques et éthiques de leurs personnages.
En aidant à la compréhension de l’argot des malfaiteurs et en imposant une lecture non linéaire de celui-ci, les narrateurs (extra et intradiégétiques) ont mobilisé, avec ces deux stratégies, l’image traditionnelle du traducteur en tant qu’intermédiaire « neutre » pour corriger l’obscurité produite, nécessairement, par l’usage littéraire de l’argot des malfaiteurs et, à travers la médiation dialogique entre le représentant et le représenté, l’incorporer dans la structure narrative, tout en promouvant, par contraste, l'idéal de transparence de la langue littéraire française au XIXe siècle.