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La traduction des sciences humaines et sociales : le cas de Jacques Derrida en Amérique

La présentation visera d’abord à expliciter comment la réception et la traduction du philosophe Jacques Derrida s’est faite aux États-Unis, de 1966 à 2004. Dans ma thèse de doctorat (déposée en 2015), je tente de théoriser la traduction des sciences humaines et sociales, et spécifiquement la traduction de la philosophie, à partir de deux fonctions du texte : désire-t-on traduire un texte en fonction de ce qu’il apporte à un champ ou en fonction de qui l’a écrit. En d’autres termes, on pourrait reformuler ainsi : traduit-on quelque chose (ce que j’ai appelé le quoi du texte) ou traduit-on quelqu’un (son qui)? Dans ma thèse, j’ai pu segmenter la réception et la traduction de Derrida en trois grandes périodes. La première (1966-1973) est caractérisée par une certaine rapidité de la traduction de textes, souvent courts, mais aussi par des modifications parfois considérables, y compris des coupures dans les textes. Les traducteurs sont souvent peu connus et les lieux de publication diversifiés. On prend ainsi le texte pour ce qu’il peut apporter, plutôt que pour l’auteur qui l’a écrit. La deuxième période (aux alentours de 1976 jusqu’à la fin des années 1980) voit apparaître des traducteurs qui, parfois grâce à leurs liens personnelles avec Derrida, auront des carrières universitaires assez importantes, notamment Gayatri Spivak, la traductrice de De la grammatologie, mais aussi Barbara Johnson et Alan Bass. Ce sont souvent des chercheurs reconnus dans leur champ; les lieux de diffusion de leurs traductions tendent à diminuer, mais demeurent assez diversifiés. On commence à traduire Derrida pour qui il est. On pourrait faire débuter la dernière période avec ce qu’on a appelé le « tournant éthique et politique » de Derrida. Cette période de la réception derridienne pourrait se comprendre comme une forme d’autoréflexivité de la communauté des lecteurs, mais aussi une certaine prise de conscience de sa réception par Derrida lui-même. Pour ce qui est des traductions, on remarque une diminution du nombre des traducteurs qui sont désormais des universitaires reconnus, très proches de Derrida. À partir de ce constat, j’aimerais questionner ce qu’on pourrait nommer la fonction du texte en traduction entre le « qui » et le « quoi » et expérimenter l’idée selon laquelle il y a un progrès entre le « quoi » et le « qui ».

René Lemieux est politologue de formation et docteur en sémiologie de l’Université du Québec à Montréal. Il est chercheur postdoctoral à l'Observatoire du discours financier en traduction de l'Université Concordia (Montréal). Ses recherches portent principalement sur les théories de la traduction et de la réception, ainsi que sur la philosophie française contemporaine.

René Lemieux has a background in political philosophy and is a doctor of semiology from Université du Québec à Montréal. He is a postdoctoral fellow at the Observatory on financial discourse in translation based in Concordia University (Montréal). His research primarily focuses on translation and reception theories, as well as on contemporary French philosophy.

René Lemieux, Université Concordia : Jacques Derrida traduit en Amérique
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