La presse est le registre de lhistoire dun pays, le reflet vivant tant des
grands événements que des faits mineurs. Les grands idéaux et les nouvelles
triviales alimentent les pages des périodiques pour servir les objectifs de
leurs éditeurs. Ceux-ci ont toujours le souci dinformer, mais ce souci nest
jamais neutre. Si cela est vrai de toute presse à toute époque et en tout
lieu, le cas de la presse coloniale constitue un exemple privilégié du souci
de création identitaire du lectorat. Du fait, notamment, de lambiguïté de
lidentité tant des hommes de presse que du lectorat. Les premiers,
intellectuels « illustrés », se considéraient « the same but not quite »
(Bhabha, 1994), et le second était constitué de sujets colonisés,
intellectuels et commerçants, qui revendiquaient leur monde propre, tout en
appartenant à celui de leur métropole. Cest aussi le cas de la presse
coloniale à lépoque de lindépendance du Venezuela (1808-1822).
Parmi les sources dinformation et dinspiration des journalistes de lépoque
figurent en bonne place les idées et les nouvelles en provenance des
États-Unis et dEurope. La traduction constituait donc lun des principaux
outils de travail que les rédacteurs de périodiques mettaient au service de
leurs desseins. Elle est la représentation de la négociation dune identité
culturelle.
Le rôle fondamental joué par la traduction en Amérique hispanique, et en
particulier au Venezuela, à lépoque de lindépendance, a été démontré dans
les écrits des philosophes (européens et américains) et dans les documents
officiels devenus constitutifs des nouveaux États. La presse na toutefois
jamais fait lobjet dune étude « traductologique » du fait, peut-être, de la
complexité du corpus. En effet, la « traduction » dans la presse napparaît
pas souvent sous sa forme conventionnelle. La « traduction » dans la presse
est rarement intégrale, en ce sens que le texte darrivée ne correspond
généralement pas au format de loriginal dont il nest souvent quune
synthèse. Or, la presse de lépoque la plus « chaude » de lindépendance (à
partir de 1808) a été le bouillon de culture et le véritable propagateur des
idées pro indépendantistes.
Le présent projet, qui se situe dans le cadre des études descriptives de la
traduction, cherchera, par une approche descriptive et fonctionnelle à
déterminer les conditions et les stratégies qui régissent la production et la
réception des traductions, ainsi que lincidence de celles-ci sur les
discours identitaires nationalistes. Par lanalyse des comportements
traductionnels dans la presse à lépoque de lindépendance du Venezuela, nous
chercherons à formuler des généralisations à propos du rôle de la traduction
dans la constitution dune identité et dune culture propres à la Région.